Zombizounyou

Ci-gît l’histoire d’un zombie minuscule, d’une taille à se planquer dans les trous de nez : triste, il traînait un œil énorme derrière lui, son boulet à lui, son sacerdoce mou, morne et globuleux… suffisamment moelleux pour se glisser au cœur d’une narine et s’y loger de bon cœur, le cul bordé de margarine, collé au collet qui le piégeait au pied du tout petit zombie, traînant la patte comme la ratte qui le flairait alors depuis l’orée de son orifice. La rongeuse en gratta les parois de son poil dru, remuant la truffe et la moustache en espérant bien le fumer tout cru. Tout ça sans que nous l’en crussions capable ! Totalement incrustée dans ce nez jusqu’à l’oreille, elle y largua bien malgré elle une colonie marchande d’acariens ambulants, lesquels aussitôt provoquèrent l’éternuement ! L’œil surgit tel un boulet gluant et englua la convoyeuse, séchée pour le coup, si j’ose dire. Suite à quoi, délivré de son fardeau, le tout petit zombie finit prisonnier des colons, non moins microscopiques. Il fut leur esclave géant durant de nombreux jours qui devenaient des années, des éons. Ensemble, ils fondèrent des galaxies nasales.

Un conseil, les amis : gardez vos orifices à l’œil, car ils sont le théâtre de rejets innommables. Et s’ils succombent à s’expulser, comme nos colons dans le trous du nez, dites-vous qu’ils jouent à se combler l’un à l’autre. Comme quoi, un trou peut un cacher tant d’autres.

Raclure d’oracle !

Oracle, aura-t-on l’honneur de vous abreuver ? De vous alourdir de questions sans réponses ? Et que répondrez-vous ? Je vous entends déjà nous dire : « la réponse est dans la question ». Mais ne sera-ce pas trop attendu ?

Oracle, oserez-vous nous rétorquer des vous, des nous, des ribambelles d’intonations qui veulent dire non ? Des sans façon de mille façons ?

Oracle, raclerez-vous les dalles du temple d’Apollon quand nos questions, sacrifiées, s’y videront de leur sens ? Aurez-vous pitié de notre Pythie, dépitée, ravalant son python quand nos réponses, piteusement, lui passeront sous le menton ?

Oracle, ravalerez-vous votre fierté quand pour rien nos salives seront usées ? Au lieu de vous moquer, ne pourrez-vous nous écourter, ne serait-ce que de l’écho de nos sollicitudes ?

Oracle ! Acclamerez-vous le peuple quand celui-ci se sera prosterné, prostitué, prosopopée !? Quand il marchera sur les genoux, sans queue ni tête, l’âme eunuque, malsain d’esprit, sans père ni fils ni soubrette à soumettre sous l’Adam ?

À quoi bon vivre si la chair n’est plus qu’idée, plus guidée ?

Oracle, vous rappellerez-nous que le temps n’est guère à la guerre, que le temps nous manque, mais qu’Apollon nous veut beaux, nous veut nus ? Me serai-je à ce point mis à nu que j’en perdrai le corps et encore la raison, ma foi ?

Oracle, me voyez-vous comme je vous crois ?

À quels espoirs le néant sourit-il ?

L’espoir est le fantôme de l’envie, tandis que sa douleur est esclave de l’ennui. J’aurais mieux fait d’être mort. Mais je cultive, comme tout un chacun, j’imagine, le goût pour la médiocrité de l’existence. Enfin, la douleur est la somme d’une vie : une analepse interminable. Tel un néant qui nous sourit. (Sommes-nous l’espoir ?) Ma solitude se meurt, parmi tant d’autres, au milieu de mille sollicitudes. Elle rend son dernier souffle que l’ennui lui a prêté. À quels espoirs peut-on se fier quand les mots soupirent pour en parler ? Et l’écrire n’est-il pas qu’illusion ? Un rêve qui n’arrive jamais ? Un miroir qui ne reflète que lui-même ? Qu’importe, tant que le doute l’emporte… Fais-moi rêver, fais-moi être, fais-moi douter. Façonne l’espoir. Façon de parler.

Sourire sans façon

Après la chance, c’est le néant qui me sourit. Vilenie. Comme une panthère née en captivité. Adoucie. Comme un masque de carnaval un jour d’épiphanie. Tromperie. Me regardant sombrer dans la vase de mes pensées. Avachies. Soudain ! ce fut une avalanche de silences, qui survint sans crier gare. Comme une pluie de flèches à pointes de silex, ruines assassines d’un autre temps, qui auraient transpercé les âges. Et l’espoir d’un autre soir. L’espoir d’un autre. L’espoir… L’avenir est un point de fuite absolu. Vers où convergent les traits de ma douleur. Les traits de ma douleurs perdue. Anéantie. Épilogue de toutes mes passions. Elles aussi, fuyantes, inaccessibles, comme une anguille sauvage. Après la nuit, c’est le néant qui me sourit.

Fumée de sourire

Il s’est pendu dans ses pensées, le vieil oreillard souffreteux, à une branche d’homme fendu. Quand elle craque, c’est qu’il rêve ou qu’il crève. À croire qu’on l’achève. Ce sont les dieux qui le traquent. Alors il s’est caché, loin dans sa tête, à l’abri de l’Écho des Cauchemars ou de l’Insolente Brièveté. La neige l’a encerclé, rehaussant la noirceur de son âme, tandis que les ténèbres de la forêt masquent son poil grisonnant. (Il pleuvait encore du sel lorsque la stase de l’hiver l’avait ensorcelé.) À leur goût, les dieux l’ont assaisonné. Le panthéon attend sa chute, imminente, et se délecte des craquements de l’homme fendu. Le vieil oreillard se cramponne à ses rêves, alors même que le Tourbillon Suceur de Sang le harcèle. L’impatience des dieux souffle sur la forêt, faisant trembler le silence.

Mais au cœur du tumulte, une lanterne verte fraye un passage tortueux, à l’écart des sentiers battus. On entend son cœur battre, son ramdam chasse les dieux cruels et les esprits pluvieux. Alors l’oreillard, plus si vieux que ça, ouvre un œil, puis deux. La colère s’était tue et la neige aussi. Seul surgissait un battement d’ailes souverain, escorté par les rires malins d’une tripotée de vespertilions. Il n’en revenait pas, ou alors d’entre les morts ! Devant lui se dressait la Reine de la Nuit : Barbara Stella*, qui planait telle une hypnose sauvage. Frigorifié, il voulait lui déclarer sa flamme et l’inviter à se blottir contre lui pour la saison. Mais elle était pressée et repartirait le lendemain.

« Tu me dois une fière chandelle d’avoir chassé tes démons. Heureusement, j’ai un faible pour les hommes tourmentés, dit-elle en rejoignant son antre ». Le reste de la nuit, la Reine et sa suite rieuse le passèrent bien au chaud, sous la carcasse à la fois glauque et rassurante de l’homme fendu, laissant la bête noire sur sa branche sourire aux anges… Hélas, s’il avait su qu’elle préférait les hommes fendus aux oreillards souffreteux, l’animal se serait laissé consumer par ses démons, de sorte qu’au moins la reine de ses pensées se réchauffe au foyer de ses cendres fumantes.

*Référence aux barbastelles, variété de vespertilion.

Sourire sorcier

Loin des yeux, loin du cœur, un Sorcier sourcilleux hantait les caves d’un château fortifié. La Reine lui avait fait aménager les geôles, toutes grilles ouvertes, en guise de laboratoire.

Comme il y travaillait jour et nuit, et prestait même des rêves supplémentaires, il avait ici-bas droit de cité.

L’endroit était froid, le sol enneigé marqué de ses cents pas. Heureusement, il connaissait les formules qui redonnent chaleur, vigueur et réconfort.

Les murs étaient couverts d’étagères, les étagères de ses livres, et ces livres de poussière. À l’exception du plus épais : le Grimoire des Grimaces, aux pages frappées d’une encre grise…

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Sourire ailé

On peut dire qu’il nous nargue. Il nous regarde de haut, de haut en bas.

Depuis l’envers du décor, la nuit.

Tandis qu’inaccessible il nous joue son numéro de chauve-souris, on voudrait le chasser comme un papillon qui fuit.

Mais c’est un tourbillon suceur de sang !

Je crois qu’il part en vrille davantage qu’il ne sourit. Vous l’entendez, ce rire en spirale ? Alors, que croyez-vous capturer, si ce n’est la frénésie d’un envol compliqué ?

Lady Black Ale

Ce soir-là, je voulus me changer les idées, sortir de mon intérieur. Je me suis retrouvé au Beer Lovers’, seul, j’ai commandé une Libertine Black Ale, seule aussi. La belle m’intriguait, trop. Je brûlais d’envie ne fût-ce que de sentir son parfum ou d’effleurer son onctuosité du bout des lèvres. Alors, quand elle est arrivée, j’ai sauté sur l’occasion pour faire connaissance : elle s’est laissée saisir délicatement, s’est approchée de mes yeux et m’a soufflé quelques mots, trop peu, avant de me filer entre les doigts ! Après tout, je n’étais qu’un inconnu. Mais n’était-elle pas une inconnue pour moi aussi jusqu’à cet instant, trop bref ? J’ai pensé qu’il me fallait me faire connaître. Aussi tentai-je une autre approche, moins brusque mais toujours déterminée. J’ai saisi son corps, translucide et froid comme une âme en peine, avec autant de franchise que de liberté, ce dont elle ne s’offusqua point. À cet instant précis, j’en sus davantage que je n’en avais savouré, demeurant cet inconnu poli tandis qu’elle rayonnait dans sa robe noire, épaisse comme un rêve où l’on meurt embourbé. Et là, c’en fut assez ! Je n’en pus plus et l’empoignai violemment, la forçai à s’incliner en lui remontant sa robe et la fis se vider jusqu’à la dernière goutte ! Que ce fut bon ! Elle coulait enfin en moi, tel un sombre secret dont je caressais les unes après les autres les moindres subtilités, inviolées jusqu’alors. Elle avait le goût de mon impatience et l’amertume de mes rêves. Mais quand je voulus la relâcher, je m’aperçus qu’elle était partie pour de bon. Mon erreur était consommée. Entre nous, que me reste-t-il d’elle, si ce n’est ce goût de trop peu ? Et elle, qu’aura-t-elle appris de moi, si ce n’est la maladresse éprouvée de ma solitude ?

Ne me le dites pas !

Je voudrais n’être qu’un rêve, noir. Une certitude sans nuance ni tonalité. Sans servitude, une humeur naissante qui ne se tarit jamais, jamais ne se tait, toujours grandit, sans vie, sur son lit de feuilles vierges, une plume coincée au travers de la gorge. Une pulsion de mort poétique, une idée suicidaire, mais juste une idée : le mot de la fin. Le piège tendu d’une conclusion qui tire en longueur. Que ne suis-je une impression de déjà-vu ? Si je pouvais n’exister que dans les yeux, à fleur de peau ou sur le bout de la langue… J’aimerais n’être qu’une longue hésitation, sans tension, une envie qui ne sait pas ce qu’elle veut mais sûre, au moins, d’exister. Tout au plus, une sirène qui ne s’arrête plus de hurler, la conscience permanente du danger de vivre, qui s’alarme au moindre battement de cœur. Finalement, je me sens comme un cœur, coupé du monde, coupé tout court et déposé là, par terre. Ne me dites pas que vous ne l’aviez pas vu ??