Ce soir-là, je voulus me changer les idées, sortir de mon intérieur. Je me suis retrouvé au Beer Lovers’, seul, j’ai commandé une Libertine Black Ale, seule aussi. La belle m’intriguait, trop. Je brûlais d’envie ne fût-ce que de sentir son parfum ou d’effleurer son onctuosité du bout des lèvres. Alors, quand elle est arrivée, j’ai sauté sur l’occasion pour faire connaissance : elle s’est laissée saisir délicatement, s’est approchée de mes yeux et m’a soufflé quelques mots, trop peu, avant de me filer entre les doigts ! Après tout, je n’étais qu’un inconnu. Mais n’était-elle pas une inconnue pour moi aussi jusqu’à cet instant, trop bref ? J’ai pensé qu’il me fallait me faire connaître. Aussi tentai-je une autre approche, moins brusque mais toujours déterminée. J’ai saisi son corps, translucide et froid comme une âme en peine, avec autant de franchise que de liberté, ce dont elle ne s’offusqua point. À cet instant précis, j’en sus davantage que je n’en avais savouré, demeurant cet inconnu poli tandis qu’elle rayonnait dans sa robe noire, épaisse comme un rêve où l’on meurt embourbé. Et là, c’en fut assez ! Je n’en pus plus et l’empoignai violemment, la forçai à s’incliner en lui remontant sa robe et la fis se vider jusqu’à la dernière goutte ! Que ce fut bon ! Elle coulait enfin en moi, tel un sombre secret dont je caressais les unes après les autres les moindres subtilités, inviolées jusqu’alors. Elle avait le goût de mon impatience et l’amertume de mes rêves. Mais quand je voulus la relâcher, je m’aperçus qu’elle était partie pour de bon. Mon erreur était consommée. Entre nous, que me reste-t-il d’elle, si ce n’est ce goût de trop peu ? Et elle, qu’aura-t-elle appris de moi, si ce n’est la maladresse éprouvée de ma solitude ?
♠