Child 44

Hier soir, mon pote Greg et moi sommes allé voir Child 44, dans un petit cinéma pas loin de chez moi qui s’appelle La Sauvenière, au centre de Liège. Les projections sont en VO. On est juste obligé de se taper deux lignes de sous-titres au lieu d’une (ouais, en Belgique le néerlandais prend de la place), mais c’est toujours mieux qu’une VF pourrie.

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Je n’avais aucun a priori sur ce film, dont je n’avais d’ailleurs pas du tout entendu parlé. Le choix s’est décidé le soir même et j’ai donc tout découvert de l’histoire en cours de route. Je vous recommande la même expérience (trop en savoir sur les films avant de les voir gâche souvent de très bonnes surprises).

Child 44 est à l’affiche depuis la mi-avril, il dure un peu plus de 2h et réunit quelques bons acteurs : Tom Hardy, Gary Oldman et la Suédoise Noomi Rapace. Je ne connaissais d’ailleurs pas du tout cette dernière et fus ravi de la performance. Le réalisateur Daniel Espinosa – également Suédois – nous attire dans un piège cinématographique d’envergure où je vous invite à laisser quelques plumes.

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Mère Russie, 1952. Staline a déclaré que le meurtre, engeance capitaliste, ne pouvait exister qu’en dehors de ses frontières. Ce qui amène le MGB (ancêtre du KGB) à étouffer toute cause de mortalité qui s’apparenterait de loin ou de près à un homicide… Maintenus dans le déni par la terreur, les proches des victimes sont condamnés au silence éternel s’ils ne se taisent pas d’eux-mêmes. Parmi les ombres de Moscou Leo Demidov est peut-être l’agent gradé le plus empathique du MGB. Orphelin de la famine soviétique (1920-21), il sait ce que veut dire perdre un être cher et a connu l’horreur de la faim. Malheureusement, il est un jour confronté au décès suspect du fils d’un collègue.

Retrouvé nu sur la voie ferrée, il présente, outre les traces du passage du train, les marques d’une intervention chirurgicale… Leo demande une autopsie complète, qui révèle un prélèvement d’organe. Mais ce constat ne peut être rendu public dans cette rouge nation sans meurtre, et le rapport officiel statue sur une mort accidentelle. Confronté à l’aberration et la violence du système, Leo est dans l’impasse et courbe l’échine. Mais bientôt, un nouveau meurtre insolent survient, dans des conditions identiques… Profondément humain et indigné, l’agent secret va mettre en jeu sa position et sa vie pour faire la lumière sur cette affaire. Échoué dans et dans les ténèbres industrielles de Volsk et Rostov, il découvre alors que ce n’est pas un ou deux enfants qui ont été assassinés et charcutés, mais une quarantaine…

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Ce film est l’adaptation du roman éponyme de Tom Rob Smith (Enfant 44, en français). Premier d’une trilogie autour du personnage de Leo Demidov, il s’inspire lui-même de faits réels. Je sens que je vais en faire une priorité dans la liste de lectures… Et oui, j’ai vu un film avant de lire son livre… je fais ça tout le temps !

Je ne peux donc point encore les comparer, mais cela m’a permis de profiter du film sans attente particulière et de me laisser charmer par son atmosphère oppressante, reflet d’une lutte acharnée contre le spectre stalinien et le fatalisme de toute une nation désabusée. Tom Hardy (Leo Demidov) et Noomi Rapace (Raisa Demidov) forment un tandem touchant au destin inattendu, victimes, chacun à leur échelle, d’une société corrompue où il convient de se méfier les uns des autres…

Nous sommes restés absorbés par l’intrigue et la mise en scène, convaincus par les jeux des acteurs et secoués par les sentiments malmenés de leurs personnages sincères. Un histoire intimiste, sombre, parfois dure, réaliste et non exempte de surprises. Nous vous la conseillons en tous points.

Les étranges talents de Flavia de Luce

Un roman policier, certes. Mais ne surtout pas se fier à la quatrième de couverture de la version de poche (10|18) qui annonce « ce roman aux accents d’Agatha Christie et de Lewis Caroll ». En effet, rien de fantastique, de surréaliste ni de métaphorique dans ce récit qui s’avère plutôt même scientifique. Quant à Agatha Christie, je suppose qu’il y a lieu de trouver des points communs entre n’importe quel récit policier et au moins un de ses romans. Le genre d’Alan Bradley est quelque peu autre.

Nous somme en Angleterre, à l’époque du roi George VI, aux portes de l’été 1950. L’intrigue se déroule dans une bourgade aux alentour du château de Buckshaw (domaine de la famille de Luce), et dans le château même. La narration se fait par le monologue intérieur du personnage principal.

L’héroïne, Flavia de Luce, est une curieuse petite fille d’onze ans. Elle est la fille de Haviland de Luce, colonel à la retraite, et d’Harriet, disparue après une chute d’alpinisme vers ses 1 an (Flavia, pour qui sa mère demeure une inconnue se plaît à l’évoquer par son prénom). Ses deux sœurs aînées, Ophélia (Fély) et Daphné (Daffy) lui mènent la vie dure, mais elle le leur rend au centuple ! Il s’agit d’un personnage savant, calculateur, ingénieux et teinté de la froideur émotionnelle des de Luce. Sa grande passion est la chimie (Lavoisier est l’une de ses idoles), à laquelle elle s’adonne régulièrement au su de tous dans le laboratoire familial ; avec un faible à peine voilé pour les poisons.

Un inconnu assassiné dans le potager, le père, suspect principal, en détention provisoire… et l’enquête commence. Pas seulement pour la police, mais aussi pour Flavia, prête aux plus folles investigations et pleine de suite dans les idées ! L’inspecteur Hewitt, qu’on ne verra que par épisodes, vient généralement corroborer (sans le savoir) les suppositions de Flavia ou lui donner de nouvelles pistes. Leurs enquêtes parallèles se recoupent, mais Flavia a parfois une méthode moins orthodoxe. Sa chimie lui est d’une grande utilité.

Le personnage principal est attachant, ses développements tiennent la route, peut-être un peu trop pour une enfant de cet âge, mais, justement, cela fait partie du personnage : une sorte de savante folle prépubère aux préoccupations morbides. Les personnages secondaires et quelques protagonistes ne manquent pas de vie ni de cohérence. Le style est malgré tout plutôt linéaire, se distinguant par la redondance quasi-systématique des « comparaisons » qui alourdissent le texte. Les allusions scientifiques raviront les intéressés mais pourront décontenancer le béotien (que je suis). L’intrigue est assez simple, sans nécessairement être convenue ; mais j’espère que le meilleur est à venir, car les idées développées autour des personnages ont du potentiel, et le manoir familial (Buckshaw) n’a peut-être pas livré tous ses secrets. Je laisserai à Alan Bradley une seconde chance de me séduire plus globalement.

L’ouvrage The Sweetness at the Bottom of the Pie (titre original) a remporté les prix Debut Dagger Award, Agatha et Arthur Ellis. Son auteur, Alan Bradley, est un septuagénaire canadien. La série comporte 6 épisodes dont 3 traduits en français, elle connaît un franc succès et sera bientôt adaptée en série télévisée par Sam Mendes (American Beauty).

Lire une autre critique sur Paperblog.

Lire la critique du tome 2 : La Mort n’est pas un jeu d’enfant. (À venir)

Lire la critique du tome 3 : La Mort dans une boule de cristal. (À venir)

Consulter le blog de Flavia de Luce (anglais).

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Une jeunesse perdue dans un abattoir d’hommes

 Ephrem INGANJI


Une jeunesse perdue dans un abattoir d’hommes

Rwanda, un voyage dans un pays ensanglanté

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L’innocence peut-elle écrire un roman ? Je suis honteuse de pleurer alors que toi, le plus concerné, tu arrives à te retenir. Oui, si elle a la force de survivre. Nous sommes confrontés à la position stagnante des génocidaires en liberté et au courant négationniste qui soutient leur cause, ou pire, rend leurs crimes légitimes. Même à l’échelle la plus illusoirement banale. Allez, raconte-moi ton histoire…

L’innocence peut-elle questionner l’histoire ? Sans risquer de se mouiller (de larmes), de se souiller. Ce qu’il a vécu n’est pas à raconter dans un café ! L’innocence qui sait n’est plus innocente. J’ai vu la mort sous son plus laid visage, sous forme humaine.

Ephrem a choisi le roman pour nous raconter son histoire. Lui qui traditionnellement en parle dans sa langue, où il est poète. Il l’a divisé en 100 chapitres, en mémoire aux cent jours du génocide.

Et voici mon témoignage : les lire a été comme une descente aux enfers.

Au début, le démon nous présente son récit sous des airs d’insouciance, de légèreté. Et, bien qu’il nous fasse entr’apercevoir l’enfer en prélude, tout est déjà calculé pour que l’innocent lecteur s’attache aux larmes de Sandra, la muse, recueillies au creux des ailes de Cédric, l’ange. Ensuite, l’injonction fatidique est lâchée : raconte-moi ton histoire. Le ton devient sérieux, réflexif. Qu’est-ce qui te fait croire que je te parlerai de moi autant que tu voudras ?

L’innocence du lecteur se brise, car il brûle d’envie de connaître l’histoire. Les flammes de l’enfer l’attirent comme autant de promesses d’un récit palpitant. Après tout, c’est une fiction ! Et quoi de mieux qu’une fiction pour raconter l’indicible ? Alors on se laisse glisser à toute vitesse sans plus pouvoir se rattraper. Car c’est avec machiavélisme que l’auteur, ce démon, attise notre curiosité. Quel fantôme va-t-il invoquer pour mettre en scène l’indicible ? J’aurai tant aimé vous laisser dormir, mais je suis le fruit d’une histoire difficile…

Bien sûr on sait que cela va se terminer, on sait qu’il y aura une fin à cette guerre dépourvue de sens. Mais il faut que les flammes nous ait brûlé bien fort pour avoir envie de se réveiller d’un tel cauchemar, on y est comme prisonnier. Enfermé dans des questions sans réponses : oscillant entre comment ? et pourquoi ? L’horreur absolue ! Ainsi, ce n’est qu’après avoir piétiné les restes inconsistants de notre illusoire innocence que nous réalisons la pérennité du cauchemar. Car celui-ci existera tant qu’anges et démons pourront le raconter. Il n’avait pas peur de la mort, c’est vrai, mais il avait peur de la vie. Et le rêve serait de penser qu’il n’a pas eu lieu.

Enfin, l’histoire se termine (quel dommage) sur une note angélique. Elle portait une bague de fiançailles. Son unique défaut… Après nous avoir intrigué, touché, captivé puis tourmenté, l’auteur déploie ses ailes et s’envole, nous plantant là !

C’est avec un profond respect, Ephrem, mais un réel engouement que Jules Cybèle attend de ta plume diabolique un prochain roman.

Par des mots d’errance

Par des mots d’errance de Delphine BOUNEB
Aux Editions Chloé des Lys, 2007.

 

erranceUn froid désert éternellement défiguré. Au milieu de nulle part, une allée dallée sans début ni fin joignant deux horizons intouchables. Un être arpente ce chemin le sabre au poing, une plume mortelle au baudrier. Il contemple une surbrillance aride, une myriade d’éclats. Est-ce un jeu de lumières, un trésor enfoui, des lames qui s’affrontent ? Ou les larmes du ciel… Un vent de nostalgie vient caresser ses pas songeurs. Il balaye un sable mêlé de passé, les bords du sentier sont en cendres de papier. Mais la denrée la plus précieuse en ce désert est l’encre des souvenirs. Une encre nourrie au sang des entrailles de la terre, une terre hostile et envoûtante.

 

Morceaux choisis :

Dans les sables mouvants, creusant leurs derniers pas,
Le nacré d’horizon a jailli d’un fracas.
Crayonnant de son art, mosaïques des murs,
De contours douloureux de chimères obscures.

J’ai peint les mosaïques éclaboussées de sable. Plume d’errance, p. 16.

Tels des flocons tombant, lorsque l’éclair arrive,
Neige blanche qui s’étend, en recouvrant les rives,
Je souris aux demains, en songeant à nous deux,
Pour ne croire qu’au refrain des enfants malheureux.

Tous nos secrets s’effacent lorsque tombe la pluie… Plume de coeur, p. 26.

Un carnet à ses pieds, l’image des armures,
Méandre des épées, paginées de tortures.
L’homme s’effondre dans le sable, une plume aux lèvres,
En un rythme impalpable, il empoigne son glaive.

Puis jaillit de son corps, une coulée de noirceur,
Des écrits et trésors, terrés en première heure.

Un homme meurt seul dans le désert. Plume obscure, p. 30.


Retrouvez Delphine Bouneb, alias Sahel, sur son site : Le Grenier des Mots-Reflets