Sourire sorcier

Loin des yeux, loin du cœur, un Sorcier sourcilleux hantait les caves d’un château fortifié. La Reine lui avait fait aménager les geôles, toutes grilles ouvertes, en guise de laboratoire.

Comme il y travaillait jour et nuit, et prestait même des rêves supplémentaires, il avait ici-bas droit de cité.

L’endroit était froid, le sol enneigé marqué de ses cents pas. Heureusement, il connaissait les formules qui redonnent chaleur, vigueur et réconfort.

Les murs étaient couverts d’étagères, les étagères de ses livres, et ces livres de poussière. À l’exception du plus épais : le Grimoire des Grimaces, aux pages frappées d’une encre grise…

Car la Reine, comme le temps, était souvent maussade, et elle exigeait du Sorcier qu’il lui fabrique des sourires.

De toutes les potions qu’il concoctait, celle du Masque Sourieur était la moins évidente. Contrairement aux croyances populaires – et le pauvre Sorcier n’avait de cesse de le rappeler à la Reine par un haussement de sourcil sévère –, le sourire est chose sérieuse.

Réunir les ingrédients relevait des exploits les plus fous :

  • trois poils de sourcils retors
  • de la poussière de clef
  • l’écho d’un rêve oublié
  • un doigt d’alcool d’espoir alambiqué
  • une larme de miel invétéré

Si les poils de sourcils et la poussière de clef étaient à portée de main, il fallait s’armer de patience avant de capturer l’écho d’un rêve oublié, fût-il celui d’un chat errant. Distiller étant une science délicate, l’alcool d’espoir risquait de ne jamais avoir le même goût ; le tout étant d’obtenir un équilibre savoureux avec le miel invétéré, qui ne pouvait s’empêcher de dominer.

« N’y a-t-il pas une de tes formules fantasques aux sonorités plaisantes, s’impatienta un jour la Reine, qui me redonnerait le sourire en un coup de baguette magique ? »

« Hélas, Majesté, rétorqua le sourcilleux Sorcier, le sourire ne peut se résumer à quelques assonances triviales. Pas plus qu’il ne suffit d’agiter mon légendaire rostre d’espadon pour égayer vos pensées. Mais, si vous y tenez, par les artifices que vous venez de citer, le peux vous rendre au moins l’attente plus agréable. »

« Au fond, à quoi me sers-tu avec ta bible grimaçante et ton éperon soi-disant magique, si tu préfères donner le sourire à l’attente plutôt qu’à celle qui attend !? Ne ferais-tu pas mieux de te transformer en livre et d’orner ainsi tes propres étagères ? J’irai te consulter et je rirai bien de tout ce que tu pourras me raconter ! »

Piqué au vif, le Sorcier sourcilla et déclama ses mots pleins de sagesses à la Reine en détresse :

« Certes, Majesté, je peux tromper l’ennui par mes sonorités et masquer votre douleur par un sourire de conte de fée. Mais face à l’ennui et la douleur eux-mêmes, je demeure impuissant. »

Satisfaite, la Reine, enfin, sourit au Sorcier et conclut :

« Que tu crois… »

Des siècles plus tard, l’écho qui jaillit de leurs rêves à l’instant où leurs regards se croisèrent résonne encore dans les moindres recoins du château-fort.

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