Il s’est pendu dans ses pensées, le vieil oreillard souffreteux, à une branche d’homme fendu. Quand elle craque, c’est qu’il rêve ou qu’il crève. À croire qu’on l’achève. Ce sont les dieux qui le traquent. Alors il s’est caché, loin dans sa tête, à l’abri de l’Écho des Cauchemars ou de l’Insolente Brièveté. La neige l’a encerclé, rehaussant la noirceur de son âme, tandis que les ténèbres de la forêt masquent son poil grisonnant. (Il pleuvait encore du sel lorsque la stase de l’hiver l’avait ensorcelé.) À leur goût, les dieux l’ont assaisonné. Le panthéon attend sa chute, imminente, et se délecte des craquements de l’homme fendu. Le vieil oreillard se cramponne à ses rêves, alors même que le Tourbillon Suceur de Sang le harcèle. L’impatience des dieux souffle sur la forêt, faisant trembler le silence.
Mais au cœur du tumulte, une lanterne verte fraye un passage tortueux, à l’écart des sentiers battus. On entend son cœur battre, son ramdam chasse les dieux cruels et les esprits pluvieux. Alors l’oreillard, plus si vieux que ça, ouvre un œil, puis deux. La colère s’était tue et la neige aussi. Seul surgissait un battement d’ailes souverain, escorté par les rires malins d’une tripotée de vespertilions. Il n’en revenait pas, ou alors d’entre les morts ! Devant lui se dressait la Reine de la Nuit : Barbara Stella*, qui planait telle une hypnose sauvage. Frigorifié, il voulait lui déclarer sa flamme et l’inviter à se blottir contre lui pour la saison. Mais elle était pressée et repartirait le lendemain.
« Tu me dois une fière chandelle d’avoir chassé tes démons. Heureusement, j’ai un faible pour les hommes tourmentés, dit-elle en rejoignant son antre ». Le reste de la nuit, la Reine et sa suite rieuse le passèrent bien au chaud, sous la carcasse à la fois glauque et rassurante de l’homme fendu, laissant la bête noire sur sa branche sourire aux anges… Hélas, s’il avait su qu’elle préférait les hommes fendus aux oreillards souffreteux, l’animal se serait laissé consumer par ses démons, de sorte qu’au moins la reine de ses pensées se réchauffe au foyer de ses cendres fumantes.
*Référence aux barbastelles, variété de vespertilion.