1997 : criminologie du rôliste

Auteur : Jean-Hugues Matelly (né en 1965) – Gendarme, écrivain.
Éditeur : Les Presses du Midi (Toulon).
Titre : Jeu de rôle. Sous-titre : Crimes ? – Suicides ? – Sectes ?
Mention avant le titre : …Istres, Toulon, Carpentras…
Dépôt légal : 1997.
Pages : 181 p.
Chapitres : 1. Le jeu de rôle diabolisé parce que méconnu ? (p. 13-50) – 2. Le jeu de rôle : concept inédit (51-96) – 3. Le jeu de rôle est-il dangereux ? (97-146) – 4. Évaluation des jeux de rôle (147-168) suivi d’une conclusion et d’une bibliographie.

Dossier Définir le JdR article n°1 : 1986 : l’ouvrage pionnier (Gildas Sagot)

Il aura fallu attendre onze ans avant qu’un nouvel ouvrage sur le jeu de rôle voit le jour. Le Lieutenant Jean-Hugues Matelly (Gendarmerie Nationale) analyse la pratique des jeux de rôle d’un point de vue critique, suivant une méthodologie scientifique, voire épistémologique. À une époque où la France est secouée par une série de faits divers sordides ayant impliqué « des rôlistes » (avérés ou non), le secteur des jeux de rôle a grand besoin d’un soutien médiatique bienveillant. Car la presse à sensation tire à boulets rouges, de grands journaux comme le Figaro ainsi que la télévision incriminent à tort l’activité ludique, l’accusant de nuire psychologiquement aux jeunes, les poussant à commettre des actes délictueux, voire à se suicider ! En 1994, un épisode catastrophique de Bas les Masques (présenté sur FR3 par Mireille Dumas) porte un coup critique au jeu de rôle. Les intervenants l’y accusent d’avoir insidieusement mené un adolescent à mettre fin à ses jours, témoignages des parents à l’appui. Pour couronner le tout, un professionnel de la santé mentale ponctue ce faux débat d’un discours fumeux visant à discréditer cette pratique ludique.

« Les systèmes de référence ont éclaté, la religion, la famille, les normes sociales traditionnelles ont éclaté et il y a très peu de refuges dans le réel. Le réel, aujourd’hui, est très peu rassurant, donc, les refuges qu’on va avoir vont être dans l’imaginaire. On propose donc un imaginaire extrêmement pauvre mais extrêmement gratifiant. On vous propose de vivre des personnages qui sont des surhommes, des sur-individus, et on vous propose de vous rassurer à travers eux. Or, malheureusement, ils ne correspondent pas du tout à la norme nécessaire au quotidien. Donc, on est complètement déphasé par rapport au réel. »

Tout cela déclaré à l’audience avec le plus grand sérieux et un calme olympien. Dans l’extrait choisi, on ne manquera pas de relever de fausses informations et des raisonnements dignes d’un psychologue de comptoir. Les jeux de rôle de cette époque n’ont pas tous la vocation de faire jouer des surhommes, s’ils l’ont peut-être été au tout début de leur histoire, dans les années 70, les contre-exemples comme L’Appel de Cthulhu (1981) n’ont pas tardé à arriver. De plus, il faut être sacrément culoté ou ignorant pour oser dire que les univers proposés sont pauvres, The Empire of the Petal Throne (1987) et son monde de Tékumel suffiraient à démontrer l’inverse ; bien qu’ils ne fussent guère connus du public francophone à cette époque. Ensuite, aucun jeu de rôle n’a pour argument marketing de vouloir rassurer les joueurs, il s’agit de les distraire, de leur offrir un moment d’évasion (j’insiste sur un moment). Enfin, qu’est-ce que « la norme nécessaire » ? Le réel d’il y a vingt, quarante ou soixante ans était-il tellement plus rassurant ? Dans cette conclusion, construite pour semer le doute dans les esprits peu critiques, rien ne tient.

Ce sont des idées (pré)conçues comme celles-ci que J.-H. Matelly déconstruit le long de cet essai à coup d’arguments logiques. Il remet l’église au milieu du village et souligne à contrepied les vertus constructives du jeu de rôle.

* * *

Mais revenons-en à l’ouvrage et à notre fil conducteur : peut-on définir le jeu de rôle ? Nous avons vu précédemment que Gildas Sagot ne s’y était pas risqué, déclarant l’exercice trop difficile. Nous avions supposé qu’il avait peut-être du mal à « réduire » une passion à une simple définition. De son côté, Matelly ne fera guère mieux : « Le jeu de rôle est une activité assez malaisée à définir, associant des règles de simulation parfois élaborées, avec un principe interactif et presque théâtral (p. 26). » Aussi, comme son prédécesseur, ressent-il le besoin de comparer le jeu de rôle avec une activité apparentée, faute de mots pour le définir. Il indique malgré tout : « Défini en termes classiques et schématiquement, il s’agit d’un jeu de société réunissant entre deux et huit joueurs de douze ans et plus pour des parties de quatre heures et au-delà (p. 51) ». Et l’auteur d’ajouter que le jeu de rôle se définit d’abord par ses mécanismes – son originalité – puis par ses différents thèmes (je dirais genres). Convaincu, il affirme que « le jeu de rôle est en tout état de cause difficile à définir au premier abord (p. 54) ».

Les originalités épinglées comme constitutives d’une définition du jeu de rôle sont les suivantes :

  • Le joueur incarne un personnage dont il ne connaît pas l’histoire à l’avance.
  • Cette histoire est en fait le fruit d’une interaction entre le jeu et les joueurs, dont la participation est active (par opposition à la passivité du spectateur) et se traduit notamment par le dialogue et l’usage des règles.
  • Le but des joueurs est le dénouement heureux de l’histoire, il n’en ressort aucune compétition entre eux.
  • Sommes toutes, le jeu de rôle s’illustre surtout par deux aspects : d’une part la théâtralité, à l’image du théâtre et du cinéma, en ce qui concerne notamment la notion de personnage, l’ambiance immersive et son décorum, d’autre part le simulationnisme, désigné comme une notion d’échec, de réalisme intrinsèque.

L’auteur entend démontrer avec « objectivité (p. 13) » que, fort de ces qualités, le jeu de rôle se présente comme un « outil de communication, de culture, de socialisation, comme peuvent l’être le livre, le théâtre, le cinéma (p. 11) ». Il est clair que l’ouvrage a pour ambition non pas de présenter le jeu de rôle, mais de présenter surtout son intérêt, afin de le réhabiliter aux yeux du public et des médias, compte-tenu du contexte historique évoqué.

Mais n’est-ce pas d’autant plus ardu d’y arriver sans avoir défini son sujet d’étude au préalable ? Ne serait-ce que par esprit scientifique, ou, pour le moins, par pure logique. En effet, je me demande s’il n’est pas plus malaisé de défendre un domaine indéfini, ou mal défini, que d’essayer de définir ce dernier. Dont la définition, au final, se construit bien malgré elle de la première à la dernière page du livre. Paradoxalement, l’auteur manipule les clefs de cette définition, tout en se figurant qu’elle est une porte magiquement scellée. Il en cite d’ailleurs deux : celle de G. Sagot, mais aussi celle popularisée par un dépliant célèbre du magazine Casus Belli. Cette dernière mentionne au moins un élément essentiel (avant de partir rapidement en sucette) : « le jeu de rôle est un jeu de société (p. 51, 53) » . Cela paraît évident, ou pas, mais il me semble que cette information devrait être l’une des premières à spécifier dans le cadre d’une définition sérieuse du jeu de rôle. Ce qui nous amène à parler de la classification des jeux. Matelly y accorde une dizaine de pages (72-83).

Matelly aborde quatre domaines où une classification des jeux a pu être établie : la philosophie, l’étude des civilisations, la culture et l’éducation. Il ressort que le jeu de rôle serait globalement inclassable… Plutôt que de se laisser emboîter dans une logique de classement arborescent, ou à tiroirs, le jeu de rôle semble pouvoir se ranger à presque tous les niveaux d’un quelconque classement, tant il revêt d’aspects ludiques différents : la simulation du réel, l’usage de règles et du hasard, la compétition en même temps que la coopération… L’absence de jouet (du moins sous sa forme matérielle) semble le distinguer des autres jeux. Tandis que certains de ses aspects seraient innovants, absents des autres jeux : comme la perspective d’une vocation culturelle ; citons Avant Charlemagne (Descartes, 1986) pour s’en convaincre. Il pourrait même remplir une fonction éducative pour les adultes. De quoi faire s’arracher les cheveux des classificateurs les plus chevronnés. Le jeu de rôle serait-il à ce point proche de la vie courante que sa définition, son approche philosophique, culturelle, éducative nous échapperait de prime abord ? Et si la solution était simplement de prendre de la hauteur ?

Après examen des définitions balbutiantes de G. Sagot et de J.-H. Matelly, et de leurs appréhensions respectives quant à cet exercice, il m’apparaît que ces auteurs confondent définition et description au moment de présenter leur sujet d’étude au lecteur. De surcroît, puisqu’ils parlent en passionnés, il n’est pas à exclure que leur amour du jeu de rôle les ait empêcher d’avoir le recul nécessaire à son étude réellement objective.

Les mots-clefs de J.-H. Matelly : Dialogue – Groupe – Système – Simulation – Mécanismes – Metteur en scène – Thème – Catharsis.

Bibliographie : MATELLY, Jean-Hugues. Jeu de rôle : crimes ? suicides ? sectes ? Toulon : les Presses du Midi, 1997, 181 p.

Webgraphie : Bas les Masques : Attention jeux dangereux (1/2) et (2/2) mis en ligne le 26/12/2017 sur la chaîne de Pierre Rosenthal.

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