Il s’agissait de mon premier atelier de formation adressé plus spécifiquement aux bibliothécaires et ludothécaires de la province de Liège. L’opportunité s’est présentée lors d’une réunion pour la Grande Nocturne du fantastique organisée par la Bibliothèque Chiroux, mon club de jeu de rôle étant sollicité pour animer des tables sur ce thème. J’ai d’emblée proposé mon projet d’initier les bibliothécaires au jeu de rôle sur table, afin de les sensibiliser à ce type particulier d’animation qu’ils méconnaissent. Non pas tant dans l’idée de les former à la maîtrise des jeux de rôle, mais d’amorcer une réflexion et susciter un intérêt.
Résumé des motivations des participants :
- la motivation principale est de développer des animations qui intéressent les jeunes, surtout les ados, et notamment lors des jours blancs (derniers jours avant les vacances scolaires) ;
- mais on a pu noté aussi : vouloir rapprocher les différents publics,
- aider les non-francophones à prendre la parole,
- changer des animations habituelles,
- proposer des livres de jeu de rôle en prêt.
La séance s’est déroulée à la Bibliothèque Chiroux, a réuni 10 personnes (plusieurs désistements), a duré 3h. Elle s’est déroulée en 3 étapes :
- Cerner le jeu de rôle
- Approfondir : histoire du jdr et types d’animation
- Dimension bibliothéconomique
Je livre ici un résumé du déroulement de cet atelier de formation ainsi qu’un relevé de quelques observations particulières dont nous avons discuté.
J’ai rédigé un dossier plus complet à l’attention des bibliothécaires et ludothécaires, lequel est à leur disposition sur simple demande. J’y développe notamment les types d’animation et leur intérêt dans les domaines culturel et socioculturel, il contient une bibliographie/webgraphie sélective et une liste des éditeurs actuels les plus actifs. Il va sans dire que je me tiens à leur disposition pour toute question relative au jeu de rôle, et plus si affinité.
Voici le compte-rendu de cet atelier :
I. Cerner le jeu de rôle
1. Introduction : les participants ont d’abord mis en commun leurs représentations du jeu de rôle, j’ai ensuite diffusé quelques photos montrant des jeux de rôle, ce qui a permis d’étoffer ces représentations. Ces dernières ont ensuite permis de présenter le jeu de rôle comme une activité complexe, que je présente traditionnellement en 5 facettes : sociale, culturelle, narrative, tactique, logistique.
2. Mise en pratique : 4 participants ont pu tenir les rôles de 4 vampires l’espace d’une vingtaine de minutes, ils possèdent un bar branché et reçoivent la visite imprévue de quatre motards rapidement identifiés comme des loups-garous. La situation pouvait être traitée socialement ou physiquement, mais impliquait l’usage de leurs pouvoirs surnaturels, lesquels leur permettaient de prendre momentanément le contrôle de la narration (une façon d’aborder la notion de narrativisme). Pendant que la scène se déroulait, les autres participants observaient un aspect du jeu, selon des consignes précises.
3. Mise en commun des observations : les joueurs ont exprimé leur ressenti en premier lieu, les observateurs ont ensuite livré leurs observations. Cette étape a été cruciale pour bien se rendre compte de ce qu’est, au final, une partie de jeu de rôle. Ce fut l’occasion de découvrir les mécanismes de narration, de métajeu (discussions hors-jeu sur ce qui arrive dans le jeu), d’arbitrage, d’animation et d’interactions entre joueurs, entre joueurs et MJ, et entre personnages. Les 5 facettes exposées en introduction ont pris sens à ce moment-là.
À l’issue de cette première étape, j’ai proposé aux participants qu’ils rédigent leur propre définition du jeu de rôle, sans la dévoiler, afin qu’ils se l’approprient et repartent avec une idée claire à diffuser autour d’eux.
II. Approfondir
4. Éléments théoriques : une rapide parenthèse sur l’histoire du jeu de rôle, ses ancêtres les wargames (jeux stratégiques), le premier jeu de rôle, Donjons et Dragons (jeu tactique), la composante narrative et sa présence de plus en plus imposante à partir des années 80, surtout dans les jeux de rôle francophones.
5. Perspectives d’animation : je présente ici 4 types d’animation qu’il est possible de faire avec du jeu de rôle. L’animation ludique (pour le plaisir du jeu), l’animation culturelle (pour enseigner des domaines particuliers), l’animation socioculturelle (pour traiter des sujets qui posent question aux participants), et enfin, les ateliers jeu de rôle, permettant d’associer plusieurs compétences. Les participants ont rapidement entrevu les possibilités multiples au sein de leur bibliothèque, comme cet exemple survenu spontanément : une table de jeu de rôle donnerait vie à une exposition initialement prévue sur pancartes.
III. Dimension bibliothéconomique
6. L’objet livre : les participants ont pu manipuler des livres de jeu de rôle et se rendre compte de leurs particularités : ISBN comme un livre, éditeur spécialisé, ribambelle de contributeurs, tomaison, matériel de jeu… Vu que je suis moi-même bibliothécaire breveté, j’ai transmis quelques conseils en matière d’indexation et de rangement. Faute de temps, je n’ai pas pu aborder le catalogage.
Cette dernière étape a permis de mettre en évidence les questions à se poser en matière de traitement des livres de jeu de rôle en bibliothèque et en ludothèque : la question de le traiter comme un livre ou comme un jeu (à mon sens, la présence de l’ISBN suffit à trancher), la pertinence de le proposer au prêt (faut-il prolonger la durée du prêt ?), que faire des éléments additionnels souvent fournis avec les livres : cartes, écran…
Accessoirement, il a été fort apprécié que le formateur dispose des connaissances bibliothéconomiques, ce qui a permis d’aborder des points techniques lié au quotidien des bibliothécaires.
Observations (sélection)
Une activité difficile à prendre en main ?
Oui et non… Tout dépend de quel point de vue on se place. Du point de vue du maître de jeu, on a bien réalisé que son rôle d’animateur était déterminant, qu’il rythmait la partie, devait veiller à faire parler tout le monde, etc. Tout en connaissant son univers, ses règles et son scénario ! Ce dernier pouvant être acheté ou écrit par soi-même, ce qui ajouterait encore de la masse de travail. Du point de vue du joueur, en revanche, il est apparu que quelques minutes avaient suffi pour prendre son personnage en main, qu’on se prenait rapidement au jeu en « n’étant plus soi, mais le personnage ». Certes, c’est cependant la position du maître de jeu qui risque de concerner le professionnel voulant utiliser le jeu de rôle avec son public, du moins s’il souhaite se former en la matière. Car il s’agit bien de cela : devenir maître de jeu, c’est possible, mais avec du temps, de l’entrainement et de la régularité dans les séances. Il ne s’agit pas, hélas, d’un type de jeu que l’on peut déballer de sa boîte en n’ayant besoin que de lire les règles avant de commencer. Il nécessite, au contraire, un travail de préparation comparable à celui de n’importe quel type d’animation.
Vertus pédagogiques intrinsèques au jeu de rôle
Le fait a été brièvement soulevé par un participant. Quel que soit le type d’animation effectué avec le jeu de rôle, ce dernier nous apprendra quelque chose : communiquer, vivre en groupe, prendre la parole, développer une stratégie, laisser parler sa créativité, s’affirmer, improviser… La composante pédagogique peut être plus ou moins adaptée, jusqu’à concevoir un scénario éducatif sur un sujet donné.
Jeux de rôle et joueurs primo-arrivants
Et oui, il n’y avait pas que des bibliothécaires à cette formation ! Deux membres d’une association d’alphabétisation, séduits par la perspective d’une activité aidant à s’exprimer, m’ont posé cette question pertinente : est-ce possible de faire du jeu de rôle avec des personnes qui ne s’expriment pas dans notre langue ? Oui ! Grâce à cette question, j’ai pu introduire l’idée que le jeu de rôle est un outil modulable et relativement facile à (ré)inventer pour un usage ciblé, pouvant se passer des livres édités. Avant de se lancer dans la pratique du jeu de rôle, tout intervenant doit d’abord se demander : où veux-je en venir avec un jeu de rôle ? C’est le besoin de base, a fortiori lié au public, qui déterminera la nature et le degré de complexité du jeu, tant au niveau des règles que de l’univers ou des scénarios. Dans le cadre d’alphabétisation, l’univers peut être aussi évident que la vraie vie, et l’intrigue se résumer à « je rentre à la maison en prenant le bus ». Les règles peuvent se limiter à un choix de vocabulaire, les compétences peuvent être des verbes d’action, le décors du scénario dessiné ou présenté en photo, etc. Il existe des pistes de réflexion, car ils ne sont pas les premiers à se poser la question. En effet, n’étant pas spécialisé dans l’alphabétisation, j’ai investigué. Après un simple appel sur un groupe Facebook d’auteurs de jeu de rôle, une rôliste s’est manifestée pour faire écho à la démarche. Ces différents acteurs du secteur social seront donc mis en relation, afin que le premier puisse disposer de l’expérience et de la réflexion du second en matière de jeu de rôle avec des primo-arrivants.
Jeux de rôles et violence
La découverte de l’objet livre de jeu de rôle a mis en évidence l’omniprésence d’une certaine forme de violence dans les illustrations. Si l’on ajoute à cela la scène de jeu opposant les vampires aux loups-garous, imaginée à dessein de présenter différentes façon de gérer le conflit entre personnages, notamment la manière forte, certains auraient pu développer l’a priori selon lequel les jeux de rôle mènent inéluctablement à la violence. La question a été soulevée par l’un des participants, qui a aussi fait le lien avec les jeux vidéos. Ce à quoi, j’ai répondu, d’une part, que selon moi, ni l’un ni l’autre n’incite à la violence ou n’en fait son sujet principal. Quoique certains jeux de rôle développent expressément le thème de la violence (Blood lust, par exemple), mais il s’agit alors d’un parti pris, non généralisable, et assumé sans aucune intention d’en faire l’apologie. En revanche, le jeu de rôle permet cet avantage, par rapport au jeu vidéo, grâce au métajeu, de pouvoir mettre tout de suite des mots sur la violence lorsqu’elle heurte les participants ou leur pose question. L’animateur joue alors un rôle crucial pour faciliter le débat. Il doit pouvoir aménager un espace de parole sécurisant qui permet aux ressentis de chacun de trouver une écoute empathique.
Conclusions
La formation s’est déroulée dans une ambiance hyper décontractée. Les personnes présentes étaient motivées à l’idée de découvrir le jeu de rôle et sont reparties le sourire aux lèvres. Ceux qui n’avaient pas une idée tout à fait claire du jeu de rôle ont été bien éclairés. Tous les participants ont réaffirmé leur motivation à vouloir utiliser le jeu de rôle dans leur bibliothèque, ludothèque ou association, même s’ils ont dû admettre que tenir le rôle d’animateur jdr n’est pas une mince affaire. En ce sens, je me suis tenu disponible pour les aider dans tout projet lié au jeu de rôle. La plupart auraient souhaité approfondir le sujet et suivre une formation plus longue, notamment pour avoir davantage de pratique. Ce qui est plutôt encourageant. Il est vrai qu’en 3h, j’ai abordé nettement moins de points que la première fois, au PAC, où la formation avait effectivement duré une journée (lire le compte-rendu de celle-ci). L’introduction a été fortement ralentie du fait que les animés avaient énormément de questions à poser ; in fine, tout le monde a estimé avoir eu ses réponses. À refaire, il me paraît nécessaire d’allonger le temps et de définir des moments particuliers, répartis le long de la séance, pour poser les questions.
Une graine est plantée, je suis impatient de la voir grandir.