Dire pour Agir

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Du 29 septembre au 14 décembre 2015, j’ai suivi la formation Dire pour Agir. Elle a pour but d’enseigner les bases de l’animation socioculturelle*, en se focalisant sur les pratiques orales et écrites : ateliers s’écriture, conte, lecture à voix haute, récit de vie, slam, etc. Pour celles et ceux qui seraient intéressé(e)s, sachez qu’elle se déroule à Liège, Verviers et Namur (prenez contact avec le PAC pour plus d’informations). Si je vous en parle aujourd’hui, c’est pour faire le point sur l’usage possible du jeu de rôle sur table en tant qu’outil d’animation socioculturelle. En effet, j’ai proposé à l’équipe d’animer une journée de formation continuée sur le jeu de rôle. La proposition a été globalement bien accueillie, voici le compte-rendu de cette journée enrichissante.

Le podcast présente une définition du socioculturel et du jeu de rôle à vocation socioculturelle.

Les objectifs étaient :

  • Définir le jeu de rôle
  • S’initier aux techniques d’animation du jeu de rôle
  • Avoir une vue sur les perspectives que le jeu de rôle ouvre en tant qu’outil d’animation socioculturelle

La journée a été fragmentée en quatre parties :

  1. Introduction dynamique : brainstorming sur l’expression « jeu de rôle » ; approche d’une définition collective via un schéma d’analyse original ; origines historiques du jeu de rôle.
  2. Observation pratique : démonstration d’une partie de jeu de rôle de 20 minutes par l’animateur, un groupe de 4 participants et 3 observateurs chargés d’observer, séparément, l’animateur, les joueurs et leurs interactions. Débriefing des observations. Définition collective du jeu de rôle sur table.
  3. Exemples d’outils : transposition des outils du jeu de rôle dans l’animation socioculturelle : exercice de présentation par la création d’un personnage fictif ; débriefing. Mise en lien des personnages autour d’une séance de jeu de rôle de 20 minutes animée par un participant volontaire ; débriefing.
  4. Conclusions : débriefing général ; ressenti animé/animateur ; évaluation de la pertinence et des perspective d’utilisation en tant qu’outil d’animation socioculturelle.

Tout d’abord, voici le résultat du « petit » brainstorming autour du mot jeu de rôle. Ce petit exercice, simple, peut être organisé spontanément, ou appuyé par un support visuel. Ce dernier permet de donner une impulsion si les participants n’ont vraiment (mais vraiment!) pas la moindre idée de ce qu’ils peuvent dire, mais il peut aussi être utilisé (ce fut le cas ici) pour étoffer la liste de mots.

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Cette première partie de la journée m’a ensuite permis de tester un schéma de mon invention, conçu pour mettre en évidence (et sur le même pied) les différentes facettes de ce dont est composé le jeu de rôle, au-delà de sa « simple » dimension ludique ou narrative qui étouffe bien souvent les autres. Il s’agissait d’y placer les différents mots, obtenus lors du brainstorming. Comme on peut le voir sur la photo, le schéma comprend 5 dimensions : Sociale, Culturelle, Logistique, Narrative et Tactique. Lesquelles sont reliées deux à deux par 4 axes : l’axe socioculturelle relie le Social et le Culturel, ce dernier étant relié au Tactique par l’axe intellectuel, ce domaine étant lui-même relié au Narratif par l’axe ludique. Enfin, l’axe créatif met en relation le domaine Ludique avec l’aspect psycho-affectif du domaine Social.

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La deuxième partie a été l’occasion de faire la démonstration d’une scène de jeu de rôle typique. Les participants ont pu se rendre compte des mécaniques qui sous-tendent une partie de jeu de rôle : incarner un rôle conditionné par des compétences, une attitude, etc., immersion dans l’environnement narratif décrit par le conteur, actions-réactions induites par les rôles et les références culturelles activées par le genre dans lequel se plaçait l’intrigue (ici, les joueurs incarnaient des vampires dont le bar était attaqué par des prêtres). L’air de rien, cette mise en bouche d’à peine 20 minutes a permis de se rendre compte des variables complexes avec lesquelles les joueurs sont censés jongler lors d’une séance de jeu de rôle. Entre autres, il a été relevé que la liberté quasi-totale devant les différentes situations pouvait être un frein à la réactivité du joueur, et que le maître de jeu, par la façon dont il amène l’intrigue, influence grandement l’éventail de réactions possibles. Ce qui doit nous faire réfléchir sur la fonction d’animateur du maître de jeu, ce que je tenterai d’approfondir dans un futur article connexe.

Au terme des deux premières parties, une définition du jeu de rôle a été élaborée collectivement (c’est là une caractéristique du socioculturel d’amener les participants à s’approprier la matière vue) : « Coconstruction, entre un maître de jeu et des joueurs, d’une action collective. Appropriation par les joueurs d’un cadre narratif proposé par le maître du jeu dans le but de mener une action commune fictive. » Si cette définition est lacunaire, c’est parce qu’elle est le reflet d’une expérience hâtée du jeu de rôle. Mais elle a le mérite d’insister sur l’aspect collectif et partagé que revêt la narration. Élément sur lequel on n’insiste que trop peu dans le monde du jeu de rôle lui-même, je trouve. On l’aborde trop souvent comme une séquence d’étapes narratives voguant du conteur vers les joueurs puis des joueurs vers le conteur, et ainsi de suite, sans vraiment explorer le phénomène de narration partagée en lui-même, qui conduit pourtant vers le produit fini : l’histoire et la satisfaction partagée qui résulte de son déroulement.

La seconde partie de la journée a plongé les participants dans la pratique, d’abord en connexion avec les différents outils abordés lors de la formation Dire pour Agir. J’ai voulu présenter un concept d’atelier jeu de rôle : lequel ferait appel à plusieurs outils d’animation socioculturelles, comme l’atelier d’écriture et la lecture à voix haute. Par exemple, en guise de brise-glace (imaginons que les participants se rencontrent pour la première fois), la création écrite d’un personnage fictif, destiné ensuite à être présenté à la première personne par son inventeur, permet de faire connaissance sans avoir à trop se mettre à nu. Le personnage fictif agit comme un bouclier ou un masque dont le créateur pourra doser lui-même la perméabilité. Ce même personnage peut, par la suite, être approfondi, être doté de « compétences », de défauts, de qualités, voire de pouvoirs, afin de servir comme véritable PJ pour des ateliers ultérieurs. Il y a quantité d’outils similaires qui peuvent s’imbriquer dans un projet plus complexe, allant jusqu’à la création collective d’un univers de jeu.

Le dernier exercice se destinait à faire animer une séquence de jeu de rôle par un participant. Lors de laquelle les joueurs allaient incarner les personnages fictifs qu’ils venaient d’imaginer pour l’exercice de brise-glace, lesquels devenaient spectateurs de la scène d’attaque du bar des vampires de tout à l’heure. Une sorte de redécouverte du jeu de rôle a eu lieu : les participants réalisaient que le fait d’avoir créé soi-même son personnage aidait à son interprétation, et que le fait d’être familier avec l’environnement permettait de réagir en se posant moins de questions. Quant au maître de jeu, il comprenait qu’il était difficile de gérer les imprévus et de rebondir sur les actions des joueurs. Les participants en ont conclu, tout de même, que l’animation de jeu de rôle nécessitait beaucoup de préparation, et qu’ils ne se sentaient pas aptes à s’y lancer comme animateurs, par manque d’expérience. Ce qui, loin d’être négatif, affirme la position du jeu de rôle en tant qu’activité d’animation à part entière pouvant nécessiter une formation.

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Sommes toutes, il fut intéressant d’aborder le jeu de rôle comme technique d’animation pour être lui-même assimilé en tant que matière. Au même titre que l’atelier d’écriture, le conte ou le slam, le jeu de rôle s’est révélé un moteur d’expression orale et écrite puissant. Il gagnerait toutefois à être connu en dehors des usages voisins dont il fait actuellement l’objet : la simulation et mise en situation. Le jeu de rôle en diffère précisément parce qu’il reste un jeu, et que l’apprentissage qui en résulte se fait par l’amusement et la créativité, non par assimilation au réel. Ce qui, de surcroît, évite aux participants de subir, pendant l’activité, un stress assimilable à celui du quotidien. Le jeu de rôle met à l’épreuve notre imagination par le biais de la narration partagée, autant que notre capacité à évoluer et à trouver des solutions en groupe. Il offre donc un espace de discussion et de débat spontané où peuvent être abordées, entre autres, des problématiques politiques, sociales, économiques… personnelles (pourquoi pas ?), etc. ; le thème de la violence est ressorti lors de l’observation pratique.

Bien sûr, de telles thématiques ne peuvent être abordées qu’à l’abri d’un cadre parfaitement pensé : il faut un animateur averti, une trame narrative cohérente et attractive autour d’un sujet qui pose question aux participants, un univers et un système de règles relativement simples qui se prêtent à ce sujet, et enfin, un espace de débriefing « à froid » pour aider à canaliser les émotions qui auront émergé en cours de jeu suite au traitement « à chaud » des problématiques sensibles. Une formation dans le domaine de la psychologie ou une expérience en gestion des conflits ne serait pas de trop pour le maître de jeu qui souhaite utiliser l’outil jeu de rôle dans ce type de démarche socioculturelle. Sans verser pour autant dans la psychothérapie, le jeu de rôle peut être aménagé comme un espace d’expression créative, révélateur d’une situation-problème vécue par les participants. Qu’elle soit vécue collectivement ou individuellement.

Enfin, la position du maître de jeu doit être nuancée. Le praticien qui souhaiterait se lancer dans ce type d’animation doit, plus que tout autre MJ, être conscient des différentes casquettes qu’il s’apprête à endosser. Car elles sont toutes spécifiques et utiles, mais le risque est grand de rater l’animation en endossant la mauvaise casquette au mauvais moment. Voici ces casquettes :

  1. Animateur : c’est lui qui anime la séance, il se porte garant de la qualité de sa prestation (fournir le matériel adéquat…), du bien-être des participants (respect mutuel…) et du cadre (horaires…) ;
  2. Conteur : il raconte l’histoire, doit être capable de la faire vivre, de moduler sa voix, de transmettre des émotions, d’improviser le récit tout en ayant préparer une base solide ;
  3. Co-narrateur : il doit mettre à disposition des participants un espace de narration partagée, où ils prennent tous part égale à la construction du récit ;
  4. Personnage : il doit pouvoir incarner des rôle, s’exprimer à la première personne quand cela est nécessaire, afin de faire vivre l’instant présent ;
  5. Maître de jeu : il est garant de la cohérence de l’histoire et du respect des règles du jeu, mais il doit faire appel à la concertation dès que possible pour traiter les désaccords avec/entre les joueurs ;
  6. Facilitateur : en tant qu’animateur garant de la qualité de l’animation, il se doit d’aider les participants à trouver leur place, de les amener à s’exprimer ;
  7. Médiateur : il se doit aussi d’aider à résoudre tout conflit entre joueurs en aménageant spontanément un espace de dialogue dédié, en privé ou en groupe ;

Le fait d’avoir abordé l’animation de jeu de rôle en tant qu’animateur socioculturel dans le cadre d’une journée de formation m’a permis de faire le point sur ce que signifie être animateur, dans tous les sens du terme. Non seulement le jeu de rôle a été abordé sous un angle novateur, surtout grâce à la participation active de mes camarades de formation, qui ouvraient sur celui-ci un regard neutre d’animateur. Mais, en prime, j’ai ouvert un regard éclairé sur ma propre façon d’animer et d’animer du jeu de rôle, les deux étant intimement liés. Cette réflexion a débouché, actuellement, sur l’élaboration de Tables rondes dédiées à l’animation de jeu de rôle au sein de mon asbl, le Fumble Asylum de Liège (dont les comptes-rendus alimenteront ce blog).

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