Jouer un rôle féminin

Je rédigeais à l’origine un commentaire en réaction à un article intitulé Jouer une femme dans un jeu de rôle, que vous pouvez lire en détail sur le site du jeu de rôle Ladies. Puisqu’il prenait de plus en plus de place, et que j’avais de toute manière envie de m’atteler à ce sujet passionnant, j’ai choisi d’en faire un article séparé.

« Dans « Ladies », nous encourageons l’utilisation de personnages féminins. Il ne s’agit que d’un encouragement, non d’une obligation, mais c’est le point sur lequel tout joueur, surtout masculin, se focalise. Très souvent, et même auprès de très bons rôlistes, le réflexe d’un homme est de répondre : « je ne sais pas si je saurais jouer une femme ». »

L’article originel a pour but de donner quelques conseils pour les hommes s’estimant incapables d’incarner avec justesse le rôle d’une femme. Il part du principe que les femmes, tout comme les hommes, éprouvent les mêmes difficultés à prendre ce rôle en main. Les auteurs adressent donc quelques mots d’encouragement à leurs playtesteurs hésitants :

« […] presque tous se détendent quand on leur explique que « les joueuses sont aussi mauvaises pour jouer la féminité que les joueurs. » Cette simple phrase est devenue presque récurrente auprès des nouveaux joueurs. »

En ce qui me concerne, je joue aussi bien l’homme que la femme, ou le vieillard. Je n’ai pas encore essayé l’enfant, ni la vieille. C’est selon mon humeur. Autour de moi, je connais des joueurs qui peinent à incarner un alter ego masculin, de même que des joueuses qui rechignent à l’idée d’endosser leur propre sexe. 

Ce que j’observe, c’est que les joueurs friands de rôles féminins ont généralement un instinct protecteur, et vont développer un personnage orienté self-défense et autonomie. Mais il est curieux de voir ces mêmes joueurs, une fois dans la peau du maître de jeu, faire subir les pires mésaventures « machistes » aux personnages féminins de leurs propres joueurs. Leur grille de lecture de la relation homme-femme, dans le cadre du récit fictionnel, semble conditionnée par le rapport de force : dominant-soumise. Serait-ce le constat d’une réalité insupportable qu’ils voudraient à tout prix exorciser en jouant des rôles féminins forts ? Réalité qui les rattrape lorsque, conteurs, ils ont amenés à jouer des rôles masculins « lambda », lesquels utilisent le rapport de force avec les personnages féminins des joueurs.

Hommes jouant des femmes à Ladies.

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Quant aux femmes « gynéphobes », j’observais auparavant leur réflexe commun qui était de considérer le rôle « homme » comme un standard. La faute à l’imagerie du jeu de rôle jusqu’au début des années 2000, quand certains éditeurs et auteurs se sont enfin décidés à vouloir aguicher des lectrices. La proportion hommes-femmes, dans le milieu des jeux de société, ne cesse de croître. En observant mon club et les festivals belges, je dirais que cette tendance s’observe depuis moins de 10 ans. Les femmes se mettent enfin à jouer, et c’est super ! Elles amènent une dimension toute différente aux parties.

Surtout quand elles jouent des femmes.

Mais voilà, la vérité est qu’une partie de ces jeunes joueuses (jeunes dans le sens où l’accès à la culture ludique a longtemps été par défaut réservé aux hommes) préfèrent jouer des hommes. S’y sentent-elles plus en sécurité ? Imaginent-elles ce sexe comme une valeur optimale ? ou un standard ? Ont-elles simplement envie de changer de leur quotidien ? Il faudra que je leur pose la question. Car je côtoie les deux types de joueuses.

L’une d’elle, que j’adore charrier à ce sujet, a une forte tendance (en tant que conteuse) à choisir des images d’hommes plutôt efféminés quand il s’agit de préparer ses pré-tirés masculins. Dernièrement, elle créait un homme pour jouer à ma nouvelle campagne de Prophecy : un membre de la caste des combattants. Mais en même temps, elle le voulait social, « pas bourrin ». Le problème étant qu’il devenait excellent dans des matières annexes (le social, la magie) et moyen, voire carencé dans les domaines physiques ! Or, sans nécessairement tomber dans l’extrême, un tel personnage doit avoir sa part de « bourrin », sinon, il est à côté de son archétype. Nous avons rectifié la fiche en fonction de cette nécessité de se conformer un minimum au stéréotype du guerrier.

« Homme-femme », ou « femme-homme », l’obsession de l’inversion des sexes trouve peut-être son origine dans la façon dont on perçoit son propre sexe, et non le sexe opposé. Quant aux « erreurs d’interprétation » des personnages, de sexes opposés ou non, elles sont, je pense, nécessairement dues aux stéréotypes, qui ont donné naissance aux archétypes de personnages. Les stéréotypes sont utiles pour démarrer sur une base claire, comprise par tous. Et je remarque que, bien souvent, les joueurs et joueuses qui tiennent à jouer le sexe opposé cherchent à casser le stéréotype « à l’ancienne ». Mais à tel point qu’ils glissent vers de nouveaux stéréotypes : l’homme efféminé (et la mode métrosexuelle qui va avec) joué par des femmes, et la femme forte jouée par des hommes (ou comment les hommes se la jouent féministes).

Femmes jouant des femmes à Chroniques des Féals. Doit-on interdire le tricot aux tables de jeu de rôle ?Ladies-jouerunrolefeminin3.jpg

Aujourd’hui, et sans mauvais jeu de mots, je trouve que les genres s’interpénètrent de plus en plus. Les stéréotypes classiques laissent place à des images moins typées, où la femme part à la rencontre de sa part masculine, et inversement pour l’homme. Il faut prendre cette réalité pyschosociale en compte quand on analyse le rapport entre le joueur, la joueuse et les personnages incarnés.

Cela dit, les vieux stéréotypes sont toujours véhiculés, ne serait-ce que par les parents ou les grands-parents de cette nouvelle génération. Ils coexistent avec de nouvelles représentations, et cela créé sans doute un joyeux feu d’artifices dans l’esprit des jeunes. Je le remarque, car du haut de mes 33 ans, je me sens de l’ancienne génération, tout en comprenant la nouvelle. Du moins, en ce qui concerne les représentations des genres. C’est drôle et très intéressant de voir les pensées évoluer.

Je vais laisser mes idées en suspens, et espérer susciter un peu de débat sur cette question des genres incarnés. Vous avez deux bonnes bases, cet article et celui de Ladies, pour nourrir votre propre réflexion. Mais le mieux, je pense, c’est encore d’interroger les joueurs et joueuses concernés pour savoir comment ils et elles le vivent. Promis, je vous fais un rapport très bientôt !

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