Je dois vous avouer quelque chose : je suis le Masque-buse.
Non pas tant l’objet qui suggère un visage, mais le personnage qu’il me fait incarner : taquin, joueur, franc-tireur… trop peut-être. Mes répliques trompent mes camarades sur la scène et les assassinent. Ils ne se relèvent jamais. L’Archer me dévisage avant de s’effondrer, j’entends encore ses flèches dans mes yeux, l’Arbalétrier se mange le pied à l’étrier et l’Arquebusier hurle au plagiat. De quoi ? De moi ! Je me plagie moi-même et aucun acteur ne m’en empêche, les spectateurs… n’en parlons pas ! D’ailleurs, je suis pour eux invisibles, même s’ils s’alarment en ma présence ou me détestent. Leurs émotions nourrissent ma vanité, je vampirise leur passion.
Un chevalier est venu l’autre soir me défier à l’épée, tout caparaçonné ; la légende courait que je n’étais déloyal qu’avec les tireurs. À peine a-t-il croisé mon regard amusé qu’il en a chuté de son cheval, tout tranché. Avant de mourir, il s’est dit abusé. Je ne jurerais pas qu’il l’a entendu, mais, je vous l’assure comme je lui ai avoué : je suis le Masque-buse !
Pris de terreur, les spectateurs s’offusquent de ma prestation lorsqu’il ne reste plus personne de vaillant dans la pièce, et que mon monologue tombe à la manière de lourds rideaux poussiéreux et oppressants. Ils suffoquent alors aussitôt, comme vous maintenant, quand ils réalisent enfin, aux portes de la mort, que je suis sans visage.